Chapitre 1 : Création de mon premier chef-d’œuvre – Au Royaume de Māra : Désirs et Illusions


Introduction:


Je me nomme Tuan Gazagnes, artiste plasticien âgé de 34 ans. Mon atelier est situé au 11, rue de Lorraine, 34070 Montpellier. Chaque année, je participe à une journée portes ouvertes, organisée avec le soutien de la Région Occitanie, aux alentours des 19 et 20 octobre.

J’ai choisi, en introduction de ce texte, de présenter les valeurs qui fondent ma démarche ainsi que les thématiques qui m’inspirent et se trouvent au cœur de ma réflexion artistique. Cette mise en contexte permet aux lecteurs qui ne se sentiraient pas concernés par mon travail d’éviter une lecture inutilement longue.

Pour les plus curieux, je décris ensuite mon parcours artistique, suivi de mes objectifs et de ma méthodologie. Enfin, pour les plus téméraires d’entre vous, je propose un commentaire détaillé de mes créations.

 


Mes valeurs :


Travail :
J’ai une conception particulièrement singulière du temps, qui remonte à ma petite enfance. Ayant frôlé la mort a l’age de 4 ans, j’ai pris conscience que notre existence sur Terre est limitée à un nombre d’années. Il apparaît donc essentiel de consacrer ce temps à une activité qui nous passionne véritablement. Afin d’atteindre une forme d’excellence, il est nécessaire d’investir du temps et des efforts considérables.

Autonomie :

Contrairement à de nombreux artistes qui s’identifient aux valeurs de liberté, c’est la notion d’autonomie qui résonne le plus profondément en moi. J’ai souvent observé que ceux qui revendiquent avec force leur attachement à la liberté sont aussi parmi les plus frustrés par le système hiérarchisé du monde de l’art.

L’autonomie, pour moi, consiste à prendre son destin en main. Elle relève de la maîtrise de soi, de la capacité à faire des choix indépendants, et à s’émanciper du regard des autres. Elle implique aussi, paradoxalement, une certaine part d’inconscience : dans une société civilisée, où le statut social, le conformisme et les logiques d’entre-soi occupent une place centrale, cette forme d’inconscience permet parfois de contourner le statu quo.

Je suis convaincu qu’il faut à la fois un petit grain de folie et une grande part d’autonomie pour créer son propre rêve.

Curiosité :
Il est souvent fait mention d’hypersensibilité ou de sensibilité lorsqu’il s’agit des caractéristiques des artistes, cette capacité à ressentir de manière exacerbée les émotions, le sensoriel, et à créer des liens profonds avec l’humain. Cependant, ce n’est pas une valeur qui me parle particulièrement. Pour ma part, je suis plus enclin à relier des idées, à apprendre et à comprendre. J’aime expérimenter, analyser ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et, enfin, j’apprécie de formuler un discours qui me permette de créer ma propre réalité, laquelle constitue une source de fantaisie.

Esprit de croissance :
Dans un monde où toutes les connaissances peuvent désormais être acquises, que ce soit par le biais du coaching, des livres, etc., il devient difficile de se concentrer sur l'acquisition et la maîtrise d'une seule compétence tout au long de sa carrière. Néanmoins, cette notion reste un pilier essentiel du luxe : le temps. Le progrès exige du temps. Il s’agit d'apprendre rapidement de ses échecs et de persévérer. Les Japonais ont inventé le terme Shokunin : un shokunin ne cherche pas seulement à exceller dans son métier, mais à devenir un véritable maître dans un domaine spécifique, souvent tout au long de sa vie. Il met un accent profond sur la discipline, le dévouement et la recherche de la perfection.



Sources d’inspiration


Cinéma et séries
Bien que je ne me considère pas comme un cinéphile au sens strict, je suis particulièrement sensible à la dimension esthétique et immersive du cinéma. J’apprécie aussi bien les productions grand public — notamment celles de Denis Villeneuve ou Christopher Nolan — que le cinéma d’auteur, comme les œuvres d’Ari Aster, Robert Eggers, Yorgos Lanthimos, Xavier Dolan, Jane Campion ou Bernardo Bertolucci.
Ce qui m’inspire profondément dans le cinéma, c’est la notion de spectacle total : la richesse visuelle des costumes, la technicité de la mise en scène, l’atmosphère singulière, les thématiques abordées et bien sûr la vision personnelle que chaque réalisateur insuffle à son œuvre. La photographie, la direction artistique et la narration visuelle sont pour moi des sources constantes de fascination.

Luxe

Initialement, j’envisageais cette section sous l’intitulé "art contemporain", mais il me semble aujourd’hui plus juste de parler de luxe.
En effet, bien que l’art contemporain fasse partie intégrante de l’univers du luxe, je ne m’identifie pas au star-system actuel, où l’on voit certains artistes accéder brutalement à la gloire pour disparaître tout aussi rapidement.

Le luxe, quant à lui, résonne plus profondément avec mes valeurs : le temps, le savoir-faire, l’attention portée au détail, l’exigence du beau, le rêve, et l’innovation. J’y retrouve une forme d’excellence et de rigueur qui m’inspire et m’anime dans ma propre pratique artistique.

Spiritualité
Certaines expositions ont profondément nourri mon imaginaire et mon rapport à la création. Je pense notamment à Possédées, présentée au MO.CO. Panacée à Montpellier, qui abordait les thèmes de la spiritualité, du mysticisme, du sacré, du corps transformé et de l’occulte.
Au MUCEM, une autre exposition sur les gens du voyage m’a marqué par ses représentations de la Vierge Marie recouverte de talismans, de coraux et d’objets précieux. Ces sculptures, presque effacées sous les ornements, devenaient des objets hybrides, puissamment symboliques.
Enfin, les expositions Visions chamaniques et Zombis, au musée du Quai Branly, ont renforcé mon intérêt pour les croyances parallèles, les mondes invisibles, et les rituels communautaires. J’admire la manière dont certaines cultures s’approprient des systèmes de croyances pour les adapter à leur propre réalité.

J’écoute beaucoup de podcasts sur YouTube, en particulier sur l’entrepreneuriat, et je suis vraiment surpris par l’engouement des élites pour le mouvement spirituel occidental — ou, plus largement, pour l’idée que l’on peut transformer sa vie intérieure par la discipline spirituelle. On dit d’ailleurs que le livre de chevet de Steve Jobs était Autobiographie d’un yogi de Paramahansa Yogananda (1946).

Culture queer
En tant que personne queer, mon identité personnelle est intrinsèquement liée à cette culture. Lors de mes études universitaires, j’ai été particulièrement influencé par les théories féministes et queer, notamment celles de Judith Butler sur la performativité du genre, de Jack Halberstam sur les espaces de résistance à l’hétéronormativité à travers l’échec et la résilience, ou encore de Laura Mulvey et sa critique du male gaze.
La série Pose représente une véritable source d’inspiration. À travers la mise en scène des ballrooms, des maisons rivales, des catégories de mode et du voguing, elle incarne à la fois une esthétique forte et une mémoire collective — notamment celle des années sida et de la marginalisation des communautés afro-queer. Ce mélange de vulnérabilité, de combat, d’expression artistique et de résilience m’inspire profondément.



Parcours Artistique:


D'origine vietnamienne, mon histoire s'est tissée entre deux mondes : celui du rêve et de la réalité. À l'âge de cinq ans, j'ai été adopté par des parents français, et c'est dans cette nouvelle terre que mon imaginaire s'est déployé. Enfant, j'étais à la fois discret et débordant d'énergie, un esprit avide de découvertes. On me disait souvent que j'avais la tête dans la lune, que j'adorais raconter des histoires. À sept ans, une passion ardente pour la civilisation égyptienne s'est emparée de moi, une fascination qui m'habitait comme une enquête infinie. Chaque anniversaire, un livre illustré sur l'Égypte ancienne venait nourrir mon appétit insatiable de savoir. Cette soif d’exploration m’a naturellement conduit vers les mystères des civilisations indienne, chinoise et mésopotamienne.

J’ai toujours vécu mes passions avec une intensité brûlante, exigeant de moi-même une rigueur absolue. Cette quête d’excellence, douce et cruelle à la fois, m’a conduit à l'âge de dix-sept ans vers de nouveaux horizons. Soutenu par mes parents, j’ai saisi l’opportunité d’intégrer une école d’art à Londres, spécialisée dans la sculpture. Trois années d’apprentissage, passées dans le quartier raffiné de Kennington, au contact d’une jeunesse aristocratique anglaise, ont forgé mon regard et mon exigence artistique. Le dessin académique, la dorure, la sculpture sur bois… autant de disciplines qui ont enrichi mon langage plastique. J’ai même eu l’honneur de participer à la dorure de la majestueuse barge « Gloriana », lors du jubilé de la reine en 2012.

Mais une fois la formation achevée, les portes des studios de sculptures londoniens sont restées closes. À ce carrefour de mon destin, j’aurais pu persévérer dans la restauration et l’ornementation sculpturale, mais c’est une autre voie qui s’est imposée à moi : celle du numérique. J’ai ainsi poursuivi une licence en animation 3D à l'Université de Hertfordshire, une école de renom en Angleterre. Plongé dans l'univers du modélage et du texturing, j’ai rapidement trouvé ma place dans les studios prestigieux de Soho, à Londres, chez MPC et Double Negative. Mais malgré l’effervescence de cette industrie, je sentais que mon âme cherchait autre chose, une quête plus profonde, plus intime.

Cette soif de sens m’a conduit vers un master en arts plastiques. Entre 2018 et 2019, ce fut un espace fertile d’exploration, où je me suis confronté à mon identité et à la pensée queer. Butler, Halberstam, Mulvey… leurs théories ont ouvert de nouveaux chemins, où l’échec, la performativité et le Male Gaze sont devenus autant de prismes d’analyse et d’inspiration.

En 2020, je suis rentré en France. Pendant quelques mois, j’ai évolué dans le monde effervescent de la mode, créant des images 3D pour l’agence "The Clawmodels". Une parenthèse parisienne, lumineuse et exaltante, avant que le confinement ne m’invite à une autre forme d'introspection. C’est à Montpellier que j’ai finalement posé mes valises et croisé la route d’Agnès Pumir, qui m’a initié aux exigences du luxe et aux valeurs profondes de l’artisanat. Sous son regard exigeant, j’ai sculpté le bois, restauré des cadres, appris la patience du geste et la noblesse de la matière.

En 2022, porté par le soutien de la région, j’ai poursuivi un master en histoire de l’art. Une rencontre fortuite, lors d’un vernissage au MOCO PANACÉE, m’a ouvert les portes de Bozar à Bruxelles. Pendant plusieurs mois, j’ai été l’assistant du coordinateur technique de ce temple des arts, un lieu où les langues et les esthétiques se croisent dans une Babel contemporaine. C’est également cette année-là que j’ai découvert les sculptures du Gandhara et Goupane, lors du salon BRAFA. Une révélation. Ces figures du Bouddha, d’un naturalisme troublant, portaient en elles un dialogue entre Orient et Occident, entre spiritualité et matérialité.

Fort de ces expériences riches et variées, j’ai voulu créer un atelier où toutes mes compétences pourraient converger, un espace dédié à l’innovation et à l’expérimentation. Dans ma recherche d’un nom, j’avais d’abord pensé à House of Ferocity, en clin d’œil à la série Pose. Mais, conscient que peu de gens saisiraient cette référence, j’ai finalement opté pour Atelier Patterssen, en hommage au film Paterson de Jim Jarmusch.

En 2024, une question essentielle s’est imposée à moi : sur quelle matière devais-je poser mes mains ? Béton, plâtre, bois... Quel matériau pourrait émerger, surprendre, et incarner l’innovation ? Le luxe, après tout, repose sur l’art du rêve, et je souhaitais trouver un matériau rare, capable de porter une nouvelle esthétique. C’est à la bibliothèque Forney que la réponse m’est apparue, dans une encyclopédie des métiers des Compagnons du Devoir. J’y ai découvert une matière bi-composante, le carton-pierre, ainsi qu’un stuc à base de chaux et de poudre de pouzzolane. Une véritable révélation. À partir de ce moment, j’ai fait le choix de m'engager pleinement dans l'exploration de ces matériaux éco-responsables, déterminé à les intégrer dans mon travail sculptural.

Restait encore la question du sujet. Quelle thématique contemporaine méritait d’être explorée à travers mon art ? C’est alors que m’est revenu en mémoire l’art gandharien, découvert lors du salon BRAFA. Intrigué, j’ai voulu approfondir mon exploration du bouddhisme, non pas sous son aspect sacré, mais en interrogeant ses zones d’ombre : ses dérives sectaires, sa récupération par les mouvements du développement personnel masculiniste. J’ai choisi d’incarner ces contradictions dans une scène emblématique de la vie du Bouddha : les assauts de Mara.

Ce récit ancien résonne comme une métaphore universelle. Mara, figure démoniaque, personnifie les entraves de l’esprit. D’abord, il envoie ses filles séduire le Bouddha, l’attirant dans les plaisirs sensuels. Face à son indifférence, il libère une armée pour l’intimider. Enfin, il l’affronte directement, s’attaquant à son ego et à sa légitimité. Mais le Bouddha, dans un geste simple et transcendantal, touche la terre. La déesse de la terre répond à son appel, et Mara est vaincu.


Objectif :





Méthodologie :


Mon critère d’excellence est que la recherche artistique doit refléter notre temps, et la technique utilisée doit aussi être à l’avant-garde. J’ai beaucoup aimé mon expérience de réalité augmentée lors de ma visite à l’exposition « Vision Chamanique » au musée du Quai Branly. En mettant le casque VR, on visionnait des images hallucinatoires, comme si l’on avait bu de l’ayahuasca. La réalisation d’animations en VR est une compétence que je n’ai pas encore maîtrisée. Ce que j’ai compris pour réaliser une vidéo en VR, c’est qu’il faut utiliser Unreal Engine, un logiciel pour l’industrie du jeu vidéo, afin d’importer les différents meshes 3D, qui ont été préalablement formatés (low poly) pour être utilisés dans ce logiciel. Ma formation universitaire a été plus orientée vers l’industrie du film, et de ce fait, la méthodologie enseignée est très différente, car l’accent est plutôt mis sur le photoréalisme, tandis que dans l’industrie des jeux vidéo, l’accent est mis sur le rendu en temps réel de la modélisation 3D.

Pour l’instant, le projet est en phase de conceptualisation. J’apprends Unreal Engine et, d’ici quelques mois, je serai assez familier avec cet outil pour réaliser une première animation en VR. Même si le produit final sera différent, j’aimerais partager des images de ce projet.

 

Texte explicatif :

Ici, nous voyons quatre fragments de tête du Bouddha. Le bouddhisme existe depuis 25 siècles et plusieurs grands empires et dynasties ont adopté ce dernier. En partant de la gauche de l’image, on trouve un Bouddha de style Vajrayana. C’est sûrement le style le plus connu et répandu grâce à l’artisanat dynamique tibétain et sa diffusion massive par les différents centres bouddhistes situés un peu partout dans le monde. La deuxième tête est de style Gupta, l'empire Gupta est considéré comme l’âge d’or de l’Inde. La troisième et quatrième tête sont de style Gandharan, reconnaissable par ses influences grecques et perses. Le visage du Bouddha présente une approche plus naturaliste, inspirée par l'art grec classique.

J’ai souhaité placer digitalement ces sculptures dans un lieu abandonné, des entrepôts de ciment, en dehors de Balaruc-le-Vieux, ce qui fait partie de cette esthétique de l’étrange. Ce malaise est également accentué par ces têtes démantelées, qui font référence à l’histoire de la spoliation, que ce soit par des colonisateurs ou des groupes extrémistes. 










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